V
Quels étaient les dangers qui guettaient Jagun ? Une fois de plus, par son impétuosité, Kadiya avait mis en péril un de ses proches. N’apprendrait-elle donc jamais la sagesse ? Les Hassittis marchaient rapidement, mais elle entraîna impatiemment Gosel, ralentissant parfois le pas pour lui permettre de la rattraper.
Derrière eux, la foule des créatures pépiait et les murs renvoyaient en écho le son de leurs bavardages. Ils pénétrèrent dans le bâtiment par un long couloir dont le plafond incrusté de plaques transparentes laissait passer une vague lumière verdâtre.
Le corridor tournait et Kadiya était sûre qu’ils se dirigeaient vers la place où elle avait découvert la fontaine aux bijoux. Mais elle se trompait. Le passage se transforma bientôt en une rampe conduisant vers le bas et sur le plafond de laquelle il n’y avait même plus de carreaux lumineux.
Les Hassittis ne semblaient pas affectés par l’absence de toute lumière et avançaient vaillamment dans l’obscurité de plus en plus profonde. Kadiya, mal à l’aise, ralentit le pas. Ses compagnons avaient fait preuve de bienveillance à son égard, mais leur accueil pouvait dissimuler un piège. Ils avaient reconnu que Jagun était leur captif. Sans doute auraient-ils pu également se jouer d’elle et abuser de sa témérité.
La descente cessa, le sol pavé redevint plat. Kadiya trébucha dans l’obscurité et heurta l’un des Hassittis. Une patte griffue la saisit par la main. Elle tenta de se dégager. Mais en vain.
« Noble Dame, nous te conduisons. Ne crains rien… »
Vexée, Kadiya se sentit rougir. Elle regrettait d’avoir laissé entrevoir sa frayeur et se devait d’affronter l’inconnu avec dignité. Cependant aucune lampe n’éclairait leur chemin et il lui fallait avancer dans le noir le plus absolu en tenant par la main cet étranger couvert d’écailles.
Son guide la tira vers l’avant, ne lui laissant d’autre choix que de le suivre. Le pépiement de ses congénères avait cessé et la jeune fille n’entendait plus que le frottement constant des pieds griffus sur la pierre.
Et puis, soudain… la lumière. Une explosion de lumière si violente et si crue que Kadiya n’en put supporter la vue. Elle leva la main pour abriter ses yeux et tenter de voir à travers ses doigts ce qui se passait devant elle.
Un gigantesque feu occupait un espace aussi vaste que l’immense salle où elle avait pris son repas et qui devait maintenant se trouver bien au-dessus d’elle. Mais les flammes jaillissaient à l’horizontale et non à la verticale, se balançant de gauche et de droite dans un mouvement constant. Des flammes rouges et jaunes, mais également bleues, violettes, vertes, et parfois d’un blanc insoutenable. Elles dansaient, bondissaient, vacillaient avant de s’immobiliser un instant puis de disparaître.
Clignant des yeux, Kadiya constata que les Hassittis l’avaient entraînée vers une sorte de plate-forme en saillie. Juste devant eux, les éclairs aveuglants des flammes bariolées jaillissaient, zébraient l’air, ondoyaient comme suspendus au-dessus d’un immense espace situé à un niveau inférieur à celui où ils se trouvaient. Les langues de feu s’élevaient souvent en flèches, mais jamais aucune d’elles n’effleurait la plate-forme sur laquelle ils étaient réfugiés. Curieusement aussi, nota Kadiya, aucune chaleur ne semblait s’en dégager.
« C’est le labyrinthe. » L’explication de Gosel s’imposa à son esprit.
Cette folle danse flamboyante ne semblait obéir à aucun plan précis. Pourtant, un labyrinthe est censé être une succession de chemins et de passages s’entrecroisant, menant l’un vers l’autre ou vers des impasses, inextricables pour celui qui n’en connaît pas le secret. Abritant ses yeux du mieux qu’elle put, Kadiya tenta de discerner les passages, mais ne vit que la lumière en mouvement constant.
Elle se tourna vers Gosel.
« Où est mon compagnon ? Qu’avez-vous fait de lui ? »
Le Hassitti montra du doigt l’immense brasier.
« Il est là. »
Prisonnier de cet enfer ? La fureur fit avancer Kadiya de deux pas vers le rebord de la plate-forme. Comment pourrait-elle le retrouver ?
« Faites-le sortir ! » ordonna-t-elle sèchement.
Gosel écarta les mains dans un geste d’impuissance. Le Hassitti la regardait d’une façon étrange. Il se pencha en avant et se tourna pour observer la jeune fille, plaçant sa tête à demi-voilée dans une position étrange, probablement douloureuse.
« Toute-Puissante, il n’y a pas moyen… »
Ce feu brûlait les yeux et non le corps. Quels tourments devait endurer Jagun, fils d’un pays de marais où le jour était plus souvent tamisé, voilé par le brouillard, qu’éclairé par la lumière du soleil ? Elle-même souffrait atrocement de ces flamboiements violents comme des éclairs. Pris dans le cœur même du brasier, le chasseur devait souffrir de manière insoutenable.
« Il doit exister un moyen », pensa Kadiya et, de toutes ses forces, elle adressa cette réflexion au Hassitti.
« Toute-Puissante, les chemins restent fermés à ceux qui n’ont pas le Pouvoir. »
Le Pouvoir ? Elle toucha l’amulette qui pendait à son cou et pensa à l’épée. Deux Pouvoirs… C’étaient peut-être des clés ?
Il lui fallait, toutefois, d’abord s’assurer que Jagun était bien là et pour cela trouver dans quelle direction elle devait orienter ses recherches. Elle ouvrit la pochette accrochée à sa ceinture et roula dans sa main un roseau creux, à peine plus long que le doigt. C’était un objet conçu par les Nyssomus, qui s’en servaient pour communiquer entre eux lors des battues de chasse, mais elle l’avait déjà employé auparavant avec succès. Délicatement, elle le porta à ses lèvres et plaça le bout de ses doigts sur certains des trous qui le perçaient.
Soufflant dans ce minuscule instrument, elle émit une série de notes assez semblables au tintement des cristaux des cloches des Hassittis. Aucun bruit n’émanant du brasier, elle espérait que Jagun entendrait son appel.
Elle souffla à nouveau dans la flûte, variant les sons, cherchant à émettre les notes les plus aiguës, celles qui porteraient le plus loin. Les Hassittis demeuraient silencieux, s’attendant à ce qu’elle échoue dans sa tentative.
Pour la troisième fois, elle lança son appel. Et très loin, très faible, vint une réponse. Oui, elle en était certaine. Elle avait entendu une réponse.
Kadiya avait rapidement renoncé à obéir à sa première impulsion de s’aventurer dans le labyrinthe de feu. Mieux valait tenter d’attirer Jagun vers elle et de le guider grâce à la musique. Durant la guerre passée, ils avaient souvent utilisé ce moyen pour rameuter, quand c’était nécessaire, des bandes de Singuliers qui s’étaient dispersées.
Kadiya sifflait longuement, tenant la note le plus longtemps possible. Puis elle s’arrêtait un instant pour reprendre son souffle et pour essuyer l’extrémité de la flûte. Et, à chaque fois, elle en était sûre, la réponse qui lui parvenait se faisait de plus en plus proche, de plus en plus distincte.
Elle essayait de voir au travers du brasier, de discerner la présence de Jagun, mais sous l’effet de l’éblouissement, ses yeux s’emplissaient de larmes. La douleur devenait insupportable.
Elle s’obstinait à jouer, les doigts ankylosés, reprenant régulièrement sa respiration…
Et, tout à coup, une silhouette noire se dessina au milieu d’un flamboiement orange.
Kadiya remit la flûte dans sa pochette et se jeta à plat ventre sur le rebord de la plate-forme. Jagun se trouvait juste en dessous d’elle et avançait lentement, en chancelant, comme si son corps épuisé refusait d’obéir à sa volonté. La jeune fille se pencha encore davantage, jusqu’à ce que sa tête et ses épaules plongent dans le vide. Elle sentit une masse peser sur ses jambes et jeta un regard en arrière. Deux Hassittis appuyaient sur elle pour faire contrepoids et maintenir son corps en équilibre au-dessus du vide.
« Jagun ! » cria Kadiya en tendant le bras vers le chasseur. Il titubait, tête baissée, les yeux fixés sur ses pieds pour se protéger de la furie des flammes de lumière.
« Jagun ! »
Il faillit tomber, se redressa et atteignit en chancelant la barrière qui soutenait le surplomb. Là, il leva la tête et regarda la jeune fille. Ses yeux n’étaient plus que deux fentes boursouflées d’où coulait un pus jaunâtre. Il leva les mains pour saisir les poignets de Kadiya, qui l’empoigna solidement. Lentement, prudemment, elle commença à reculer en tirant de toutes ses forces pour hisser le chasseur vers le rebord. Des pattes griffues l’entraînèrent vers l’arrière, l’aidant dans son effort.
Elle gagna du terrain et, bientôt, la tête et les épaules de Jagun apparurent. Plusieurs Hassittis se précipitèrent en avant pour attraper le Singulier.
Avec soulagement, Kadiya sentit la tension diminuer, puis se relâcher complètement. Elle avait réussi !
Allongé par terre, la tête contre le sol, Jagun demeurait immobile. La jeune fille se précipita vers lui pour le prendre dans ses bras. Son corps était mou, presque flasque, sa bouche grande ouverte. Kadiya fut prise de frayeur et, dans un sursaut d’énergie, le força à s’asseoir contre son flanc, le dos tourné au brasier, la tête reposant sur son épaule. Elle ne savait même pas s’il respirait encore. Quels tourments avait-il endurés dans cet enfer ? Peut-être le labyrinthe de feu était-il mortel pour les Singuliers ?
Elle regarda Gosel.
« Qu’as-tu fait ? »
Le Hassitti se tenait à côté d’elle, le museau pointé vers le chasseur, comme s’il le flairait.
Que pouvait comprendre cette créature ? Kadiya chercha le pouls sur le cou de Jagun. Une odeur caractéristique émanait du chasseur, celle des Singuliers en proie à une frayeur extrême.
« Il faut le faire sortir d’ici ! » L’ordre s’adressait à elle-même plutôt qu’aux Hassittis. Mais comment s’y prendre ? Certes, Jagun était moins grand qu’elle, mais il pesait lourd et elle savait n’être pas capable de le porter tout le long du corridor sinueux qui les avait menés jusqu’ici. Elle l’allongea doucement sur le sol pavé puis se tourna et attrapa l’une des écharpes que portait un Hassitti, l’arrachant des épaules de la créature.
Elle l’étala par terre. Ses yeux la brûlaient malgré les larmes, mais elle y voyait assez pour faire ce qu’elle voulait. Elle parvint à rouler le corps de Jagun sur le châle. Le tissu était plus épais et plus résistant qu’elle ne l’aurait cru. Elle l’avait posé à l’envers, afin que les bijoux qui l’ornaient se trouvent face au sol et que le chasseur puisse reposer sur une surface à peu près lisse. Elle l’enroula dans la couverture improvisée puis, décrochant sa ceinture, l’attacha fermement. Elle se saisit ensuite de l’extrémité de l’écharpe et se redressa, prête à traîner le fardeau derrière elle. La longueur n’était pas suffisante pour lui permettre de se tenir droite, mais elle était décidée à sortir de ce lieu infernal et commença à tirer. A cet instant, deux Hassittis s’approchèrent pour empoigner les pans du tissu afin de l’aider.
« Nous allons porter le chasseur… »
La phrase muette de Gosel exaspéra la jeune fille. Le courant de sympathie qu’elle avait ressenti lors de sa rencontre avec les Hassittis avait totalement disparu. Comment pouvait-elle faire confiance à ces créatures ? Elle refusait de remettre le sort de Jagun entre leurs mains.
« Après ce que vous lui avez fait… gronda-t-elle.
– Il est venu sans prononcer les mots de paix. C’est un Singulier, et non un Noble, et le labyrinthe est conçu pour s’emparer des intrus qui pénètrent ici, expliqua Gosel. Mais si la Noble Dame veut ce chasseur, nous l’aiderons. »
Quatre Hassittis s’étaient accroupis près de la civière improvisée. Ils en saisirent chacun un des bouts et la soulevèrent. Kadiya recula d’un pas pour les laisser faire. Ils semblaient porter sans peine leur fardeau et se dirigeaient déjà vers le corridor. Une main griffue se posa sur son bras. Gosel la pressait d’avancer. Elle emboîta le pas aux porteurs, surveillant Jagun à travers ses paupières douloureuses.
Le trajet était long. Quelques Hassittis partirent en avant d’un pas rapide, mais les autres demeurèrent, s’arrêtant régulièrement pour changer de porteurs. A chaque halte, Kadiya tentait de découvrir une étincelle de vie dans le visage de Jagun. A la quatrième fois, elle perçut un souffle léger contre sa main.
« Jagun ? » Elle lui parlait par transmission de pensée comme elle l’avait fait avec les Hassittis.
L’image d’une langue de feu et une douleur violente la traversèrent. Jagun s’était inquiété pour elle. C’est en partant à sa recherche qu’il avait été pris au piège.
Kadiya tenta d’imposer une pensée à son esprit épuisé.
« Tout va bien, Guerrier. Je suis là, il n’y a plus de danger… »
Elle ignorait si c’était vrai, mais était décidée à garder espoir le plus longtemps possible. Puis un grattement de griffes résonna sur le sol et deux autres Hassittis les rejoignirent. L’un d’eux apportait de grandes feuilles pulpeuses, l’autre un flacon.
La jeune fille les voyait clairement car ils étaient accompagnés d’un troisième portant une lampe qui se balançait au bout d’une chaîne. Le groupe s’écarta pour leur faire place aux côtés de Jagun auprès de qui Kadiya demeurait agenouillée. Il respirait toujours, mais gardait les yeux fermés. Un liquide épais et jaunâtre lui collait les paupières.
Le Hassitti portant les feuilles les déposa soigneusement près de Jagun tandis que celui qui tenait la lampe se penchait pour lui donner de la lumière. Leur compagnon déboucha le flacon.
Alors, dans l’odeur humide et moisie de ce souterrain s’éleva un parfum que Kadiya reconnut aussitôt. C’était celui du jardin, ce lieu de paix et de sérénité. Les griffes du Hassitti s’enfoncèrent dans le flacon pour y puiser une gelée verte, et l’odeur délicieuse imprégna l’air.
Le Hassitti s’agenouilla et commença à enduire les grandes feuilles de cette gelée, en couche épaisse et régulière.
Le premier des nouveaux venus dirigeait les opérations. Il était si bien enveloppé dans son châle qu’il eut du mal à en extraire ses griffes pour s’emparer de la feuille.
– » Tostlet est venue aider », expliqua aussitôt Gosel, comme s’il s’attendait à ce que la jeune fille s’oppose à l’intervention de cette nouvelle créature. « Elle connaît les pouvoirs des herbes. »
Une Hassitti guérisseuse ? Pourquoi pas… Chaque race, quelle qu’elle soit, devait avoir des sages parmi les siens. Bien que la jeune fille fût incapable de faire la différence entre mâle et femelle chez les Hassittis, elle en était venue à penser que Gosel était du sexe masculin.
Tostlet enfonça une griffe dans la gelée qui enduisait la feuille. La préparation dut la satisfaire, car elle s’empara du cataplasme et le posa avec d’infinies précautions sur les yeux de Jagun, ou plutôt, sur toute la partie supérieure de son visage. Il se débattit, tenta de repousser la ceinture qui le maintenait sur le brancard de fortune. Aidée d’un de ses congénères, Tostlet souleva doucement la tête du Singulier et maintint le bandage en place, le fixant sur sa nuque grâce à des liens déchirés dans le reste des feuilles.
Devancée par le porteur de lampe, la petite troupe reprit sa marche pour regagner les étages supérieurs. Tostlet avait toutefois pris soin d’étaler le reste de la gelée sur un morceau de feuille et de le tendre à Kadiya.
« Pour tes yeux, Noble Dame », dit-elle. La jeune fille appliqua aussitôt l’emplâtre sur ses paupières enflammées. Les tourbillons de lumière qui lui ravageaient les yeux s’effacèrent lentement, la douleur cuisante diminua. Si elle avait été prise au cœur du brasier, Kadiya aurait été définitivement aveuglée par les flammes, elle en était convaincue.
Ils finirent par atteindre la partie supérieure de la Cité et pénétrèrent dans la seconde cour où se trouvait la fontaine. Il sembla à Kadiya que le jour s’était assombri. Sa vue avait-elle baissé ? Que deviendrait-elle si elle perdait l’usage de ses yeux et se retrouvait plongée dans une éternelle obscurité ? L’idée seule la faisait trembler.
Jagun fut déposé près de la fontaine. Il tournait la tête de gauche à droite en gémissant.
« Noir… mal… soif… » Il prononçait ces mots dans la langue des Singuliers, mais Kadiya en connaissait le sens. Elle se précipita vers la fontaine pour recueillir de l’eau dans ses mains quand elle sentit qu’on lui touchait l’épaule. Quelqu’un se tenait à côté d’elle, qui lui tendit un gobelet richement serti de joyaux, semblable à celui qu’on lui avait offert à son arrivée.
Elle le plongea dans l’eau, le remplit et retourna auprès de Jagun. Soulevant doucement sa tête, elle approcha la coupe de ses lèvres desséchées, repoussant légèrement le masque de feuilles.
« Bois, mon frère d’armes. » Elle s’exprimait du mieux qu’elle pouvait en singulier, ce langage si difficile à prononcer pour ceux de sa race.
Jagun obéit. Une fois encore, il tenta de bouger les bras et Kadiya fit signe au Hassitti le plus proche de desserrer la ceinture. La main du chasseur battit l’air jusqu’à ce que ses doigts touchent le poignet de Kadiya et s’en emparent.
« Clairvoyante – il s’exprimait cette fois dans la langue des marchands – est-ce vraiment toi ? Es-tu également captive des flammes qui ne brûlent pas ? » Sa question trahissait une telle angoisse que Kadiya s’empressa de répondre.
« Compagnon, nous avons été libérés et nous sommes à ciel ouvert. Bois. Voici de l’eau, claire comme on la voit rarement loin des îles. »
Jagun obéit, puis voulut toucher le bandage qui lui recouvrait les yeux, mais Kadiya s’empara de sa main et l’immobilisa.
« Pas encore, compagnon. Il faut laisser à tes yeux le temps de guérir. »
Il appuya davantage la tête contre son épaule et la jeune fille vit ses narines palpiter, comme lorsqu’il se trouvait sur la piste d’un gibier. On aurait dit qu’il flairait les intrus.
« Il y a d’autres gens ici », dit-il dans la langue des marchands, d’une voix qui n’était qu’un murmure.
« Ce sont eux qui nous ont fait sortir de l’enfer de lumières. Ils s’appellent Hassittis… »
A ce nom, la jeune fille sentit le Singulier se raidir.
« Hassittis… »
Des mots sans parole de Gosel imprégnèrent alors son esprit. Jagun pouvait-il les entendre également ? Le Hassitti n’avait pas l’air d’en douter.
« Nous sommes ceux qui attendent, homme des marais. Nous attendons alors que ceux de ta race ont refusé de rester ici et ont suivi le chemin de leur choix ! » Le reproche était mal contenu.
« Les Hassittis… fit Jagun à haute voix. Mais les légendes des Ténèbres…
– Homme des marécages ! l’interrompit Gosel d’une voix irritée. Nous n’avons jamais servi les Ténèbres. Nous sommes de la race des Veilleurs, gardiens du dépôt sacré. Lorsque les tiens sont partis dans la boue et la vase, nous sommes restés. »
Jagun tourna légèrement la tête, afin que sa joue s’appuie sur la poitrine de Kadiya.
« Clairvoyante, imprègne mon esprit du portrait de ces créatures, afin que je puisse les voir. »
Elle leva les yeux pour regarder Gosel, construisant une image mentale de celui qui semblait être le chef des Hassittis.
« Ainsi, les plus anciennes légendes disaient la vérité… murmura Jagun. Mais comment est-ce possible ? Car il est dit que cette race est partie avec les Disparus, qui appréciaient tant leur compagnie et n’auraient jamais accepté de les abandonner.
– Nous avons choisi de rester, lui répondit-on de façon muette. Car nous étions les derniers, ceux que les Gardiens connaissaient. Et… »
A cet instant, l’esprit de Kadiya fut traversé d’une telle sensation de douleur et de regret qu’elle faillit lever la main comme pour se protéger d’un coup.
« Et quand ceux qui protégeaient le passage et luttaient contre les Ténèbres ont connu la défaite, nous sommes demeurés seuls. Nous savions que cela ne pouvait pas se terminer ainsi. La Grandeur ne meurt pas, elle ressurgit toujours. Et nous avions raison de le croire, car voici que la Noble Dame est de retour, comme nous l’avions rêvé !
– Jagun, les Hassittis pensent que je fais partie de la race des Disparus, bien que j’aie essayé de les détromper, expliqua la jeune fille.
– Tu es venue à nous, ajouta Gosel en regardant Kadiya dans les yeux. Les rêves étaient vrais. Qu’attends-tu de nous, Noble Dame, maintenant que tu as retrouvé ton peuple ? »
Kadiya se rappela alors l’épée plantée dans le jardin. Malgré son retour, elle ne se sentait nullement soulagée du poids qui pesait sur ses épaules. Qu’allait-il advenir ?